Christian Neuman

Alors que depuis plus d'un an, le monde vit au rythme de la crise pandémique, que les frontières terrestres se ferment, que l'Autre – membre de la famille, ami, voisin, quidamcroisé dans la rue – est considéré comme un danger potentiel, que nous nous confinons, déconfinons, que nous voyons chaque jour nos perspectives fondre comme neige au soleil, les artistes n'ont jamais été autant prolifiques,  imaginatifs et prompts à élargir le champ des possibles.

         Chacun est conscient que le monde ne sera plus jamais comme avant. Alors, il est nécessaire, afin de ne pas sombrer dans le marasme, deréinventer la société, de se réinventer, d'étendre notre « zone deconfort », d'oser, de recréer sa propre liberté. Les artistes l'ont comprissans doute avant la majeure partie de la société. Leur sensibilité, leur acuité, parfois leur engagement politique ont été le moteur de réalisationsinédites, puissantes et  hors dessentiers battus. Le champ artistique s'est étendu et s'est ouvert dans toutessortes de directions. Les frontières de la création ne cessent d'être repoussées.

Dans ce contexte particulier et novateur s'inscrivent d'une manière absolument percutante les deux artistes luxembourgeois Max Dauphin et Christian Neuman. Par leur radicalité, leur force expressive, la recherche constante de nouvelles formeset de limites d'expression auxquelles ils s’attellent, les deux plasticiens tracent les nouveaux horizons de l'art.

 La pluridisciplinarité de Christian Neuman etl'ouverture au monde de Max Dauphin, artiste à l'âme de globe-Trotter qui a enrichi son inspiration et son imaginaire de ses voyages lointains et de ses contacts avec d'autres créateurs, rendent leurs travaux inédits. Tous deux, sans forfanterie, ont conscience du rôle de l'artiste dans la société, celui de nous surprendre, nous édifier et d'aussi titiller nos consciences quelque peu endormies et mollassonnes depuis que nous sommes contraints à la réclusion domestique.

         Max Dauphin a un attachement particulier pour les sujets qui touchent au vif, pour les personnages un peu cabossés par l'existence, les marginaux que d'ordinaire nous regardons du coin de l'oeil. Il affectionne à fixer sur la toile des bribes de son quotidien, de l’actualité, des  réminiscences de rencontres fortuites qui l'ont marqué. Dans des formats souvent ambitieux et avec une facture cinglante, une gamme chromatique riche et contrastée, une matérialité dense, il narre des scènes de vie parfois teintées d'ironie et de critique sociale, cependant toujours empathiques.

         Chez lui,  Eros convoque Thanatos, la sensualité et sexualisation vont de pair et émane de ses œuvres une sorte de beauté convulsive. La fatuité de notre condition humaine est un de ses thèmes de prédilection. Ainsi, certaines de ses compositions, nous entraînent dans la voie de l'introspection.

Christian Neuman quant à lui, de par sa formation pluridisciplinaire, aborde  dans sa peinture à laquelle il s'est adonné sans discontinuité malgré d'autres amours, l'univers cinématographique qui lui est cher, ainsi que celui de la mode et du stylisme.           

Son univers est baroque et rock, ou plutôt punk. Les dernières réalisations présentées dans le cadre  de l'exposition « New Borders » questionnent l'idée du tableau dans sa forme et l'émancipent de son concept et de son support traditionnels.  En effet,il s'agit d'oeuvres aux allures de calicot, souples, enroulables, flexibles.

         Avec pour matériaux du lin, de la laine, du feutre, des patchs brodés, l'artiste a réalisé, avec une certaine dureté et des références au « Death Métal », aux images percutantes des codes publicitaires, aux média sociaux et à la « Selfie culture », ce qu'il nomme« des portraits sociaux ». Là, Christian Neuman témoigne de l'existence des cultures underground et même des subcultures nées avec les réseaux sociaux. L'artiste aime particulièrement à révéler dans ses travaux l'individualité de l'être humain, ses coups de pieds à la « normalité », sa liberté et son libre-arbitre mis à mal en ces temps de crise. Les modèles de Christian Neuman sont à l'image de son art : anti-conformistes.

         Dans ses œuvres picturales telle « Night Ride », il adopte un vocabulaire à la lisière entre la figuration et l'abstraction. Il traduit dans la superposition savante de couches de matière, des évanescences atmosphériques. Tout n'est que mouvement et profondeur. Des rappels figuratifs se lisent subrepticement à la manière des images holographiques de notre enfance. La palette est audacieuse, tonitruante. Le contraste du mat et du brillant offre encore plus de mobilité à ces paysages intérieurs, contemplatifs qui happent le regard.

Nathalie Becker, Mars 2021